PERSONNALITÉ 4/5 - "Tous", ensemble


"Un pour tous, chacun pour soi", La folie des grandeurs, Gérard Oury, 1971
"Un pour tous, chacun pour soi", La folie des grandeurs, Gérard Oury, 1971

Des outils de groupe inspirés de la personnalité et des personnalités toxiques.

Ce post est la 4° partie du thème " la gestion des personnalités".


Des outils de valeurs :

Après avoir étudié la difficulté à définir ce que cache la notion de personnalité, identifié les outils existants et compris l'impact des résultats trouvés[1], voyons ensemble comment l’individu, avec sa personnalité, impacte le groupe et les outils que l’on peut trouver à ce niveau.

Partage de valeurs
Partage de valeurs

Il est facile d’étendre le concept de personnalité à celui de l’équipe. Et, au-delà de la découverte de la personnalité d’un individu, les outils caractérisant la personnalité servent aussi pour travailler sur des problématiques d’équipe.

Mais en réalité, les outils d’accompagnement (par opposition aux outils structurels ou de stratégie qui ne traitent pas les aspects psychosociologiques) intègrent peu, encore aujourd’hui, les personnalités individuelles. Ces outils d’aide au leadership sont surtout liés aux stades d’évolution de l’équipe, de sa communication, de ses normes, etc. Ils traitent soit le groupe de manière normalisée vis-à-vis d’un acteur particulier (souvent son responsable) soit l’inverse, les membres normalisés dans un groupe particulier (employés de même fonction d’un même département), rarement des deux (CoDir, équipe de projet …). On rentre alors dans le vif des problèmes de leadership, de management.

 

Au niveau d’une équipe ou d’une entreprise, beaucoup d’outils troquent les traits de personnalité de l’individu pour les valeurs du groupe. Or, qui dit valeur, dit éthique. On plonge ici dans un mélange de philosophie et de psychologie qu'il faut bien avoir à l'esprit. Identifier les valeurs est utile, les pondérer éthiquement (bien ou mal, contributives ou limitantes) à partir de points de vue d’individus, comme le font la plupart des outils, peut être problématique. Une valeur contraignant un sous-groupe, peut être bénéfique pour un autre, voire au niveau du groupe, et vice-versa. Comme outil, on peut citer :

  • Le CTT (Cultural Transformation Tool) de Richard Barrett : 7 niveaux, une centaine de valeurs,
  • L’AVI (A Values Inventory) de Brian Hall : 128 valeurs,
  • La Singularité Trifonctionnelle de Patrick Mathieu : 6 noyaux,
  • L’OCI (Organizational Culture Inventory) de Clayon Lafferty : 12 facteurs, 3 grandes catégories,
  • Le modèle de Denison de Daniel Denison : 4 dimensions, 12 indicateurs,
  • La Spirale Dynamique issue de la théorie de Clare Graves : 8 niveaux-étapes (Vmemes: memes de valeurs).

Le CTT est en partie basé sur le travail d’Abraham Maslow. L’AVI est la conclusion d’une approche similaire à celle qui donna le Big 5, partant de 500 mots décrivant des valeurs. La Singularité Trifonctionnelle est plus un outil de positionnement de marque. La Spirale Dynamique est une version simplifiée par Don Beck et Chris Cowan des travaux de Graves, tout en grossisant les aspacts spirituels de ceux-ci. La « théorie de tout » de Ken Wilber (2000) tente philosophiquement d’élargir la thèse à … tout. Encensé par certains, le monde académique semble tourner le dos à ce « méta-théoricien ». Il a en effet plus d’un point commun avec George Gurdjieff, le père de l’ennéagramme : mysticisme, philosophie, vision de la structure du cosmos…

 

La liste donnée des outils est loin d’être exhaustive (voir les modèles de Shalom Schwartz, de Paul Rey …). Il est à noter que certain de ces outils sont basés sur des recherches introuvables, les théoriciens ayant souvent participé à la conception des outils. On retombe sur la problématique de protection marketing déjà mentionnée[2].

 

Ainsi, on peut observer l’intégration d’une dimension spirituelle qui est sensée répondre à une diversification des outils de leadership, même si ce dernier, dans les faits, n’en demande généralement pas tant.

Nuisibles :

"Matière toxique !", WALL-E, Andrew Stanton, 2008
"Matière toxique !", WALL-E, Andrew Stanton, 2008

Dans les problématiques d’équipe, on tombe aussi souvent sur les questions de la gestion de personnalités toxiques. En fait, derrière cette appellation on trouve, en entreprise, une large majorité de dysfonctionnements structurels, c’est-à-dire une relation « toxique » créée par la formulation des attendus liés aux fonctions des intervenants, plutôt que des dysfonctionnements psychologiques de personnes. La structure et les postes sont généralement plus mal définis que les employés fortement névrosés.

De plus, chaque trait de personnalité peut être bon ou mauvais suivant la situation. Les besoins, par exemple d’autonomie, d’affiliation, de déférence, ou d’agression que nous avons tous à un niveau ou à un autre, peuvent servir comme desservir. Un besoin d’agression dirigé vers l’extérieur du groupe est nécessaire dans les fonctions d’achats mais peut parfois être contestable s’il est dirigé vers l’intérieur du groupe. Un besoin d’autonomie peut être destructeur dans l’exercice d’une production manufacturière systématisée mais créateur dans la R&D … Ces exemples, quatre stéréotypes, doivent être challengés par rapport à leur mise en application.

 

Les véritables relations toxiques s’apparentent aux jeux psychologiques inconscients mis en lumière par Eric Berne (Games people play, 1964) et qui sont au cœur de l’Analyse Transactionnelle. Stephen Karpman, lui aussi affilié à l’AT, développera, dans son triangle dramatique, les rôles de Victime, Sauveur et Persécuteur (Fairy tales & script drama analysis, 1968).

Une relation toxique est à différencier d’une agression par sa récurrence. L’action de la victime dans cette récurrence est fondamentale à la pérennisation de la relation toxique. Il est important de garder à l’esprit que, dans une relation toxique, la victime a toujours quelque chose à gagner ou à ne pas perdre, aussi surprenant que cela paraisse. Et cette chose est plus importante, positive à ses yeux, que la relation est négative. Sinon, elle y aurait naturellement mis fin.

Comme l’explique le stratège Carl von Clausewitz (De la guerre, 1832) et contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, c’est l’agressé(e) qui va définir le type de conflit, de relation, entre les deux parties. La manière de répondre à l’attaque initiale définira en grande partie ce cadre.

La tactique, pour se défaire d’une telle relation est, généralement, de casser le jeu psychologique. Souvent, pour en sortir, l’attaqué(e) doit prendre une position Adulte (de l’AT) et arriver à sortir de la position Enfant dans laquelle l’attaquant, en position Parent, le pousse. Parfois la relation toxique est inversée par rapport à ce schéma, où la victime est poussée dans le rôle du Parent. Dans les deux cas, il faut renforcer le lien Adulte-Adulte et minimiser les liens Enfant-Parent.

De plus, l'idée de toxicité est liée à une notion de capacité car toute relation est plus ou moins toxique. La toxicité, notion subjective, implique un niveau supportable, dans l’intensité et dans la durée. Elle est donc unie à un compromis passé avec soi-même, consciemment ou non, quant à ce qui est acceptable de tolérer. Une relation devient distinctement toxique quand le niveau acceptable est dépassé car c’est à ce moment-là qu’il y a un changement de comportement visible. En-dessous de ce niveau, elle restera latente.

Une relation saine n’est pas nécessairement l’opposée d’une relation toxique. En effet, il faut prendre garde à ne pas confondre la résultante globale avec la valeur absolue des termes (bien connu des utilisateurs de bilans, pour une même résultante, on peut avoir des situations bien différentes : comparer la situation avec +2 et -1 à une autre à +1001 et -1000).

 

Une relation toxique peut aussi dépasser le cadre de la relation à l’autre. L’"autre" peut ainsi être un objet (addiction) ou un environnement qui synthétise les différentes relations qu’il englobe (ex : le rapport de l’employé à son poste).

 

En tant qu’accompagnant, que cela soit en conseil, coaching ou mentorat, il est donc nécessaire de faire prendre conscience, dans une telle relation, des aspects positifs et négatifs. Car la motivation pour améliorer la situation passe aussi par le deuil des avantages que nous donne la situation toxique. Or, la frustration de ne pas arriver à changer est souvent causée par le fait de se concentrer uniquement sur ce que l’on veut « gagner » sans réfléchir à ce que l’on doit aussi « perdre ». Un bilan des « pertes & profits » est la clé des situations bloquées. Il permet de mettre à jour notre stratégie actuelle et soit de débloquer la situation, soit de l’accepter telle qu’elle est pour ne pas perdre ce qui tient en fait vraiment à cœur. Cependant, la simplicité de l’énoncé de la solution (faire un bilan) ne doit pas cacher sa difficulté pratique. La capacité à se détacher émotionnellement d’une relation toxique pour pouvoir l’analyser sereinement n’est pas répandue. Être accompagné professionnellement prend ici tout son sens.

 

Sans être nécessairement toxiques ou pathologiques, les équipes internationales renforcent, elles aussi, les problématiques en lien avec les personnalités et les valeurs à partager. Sans reprendre le sujet que j’avais traité dans un autre article[3], il est important, dans la construction d’une équipe multinationale, de bien identifier les critères de « normalité » attendus (en prenant conscience des différences culturelles) et de savoir comment les dépasser. Car la normalité n’est, au départ, que la construction inconsciente d’un ego/ethnocentrisme subjectif qu’il va falloir faire évoluer. En parallèle, il est important de prendre en compte les caractéristiques des individus et non de leurs stéréotypes. Le faux pas culturel doit être permis et sa reconnaissance explicite, humble et bienveillante au sein du groupe, encouragée, via une identification des différences et de la tolérance accrue.

 

 

Pour résumer, au niveau des outils psychosociologiques existant pour un groupe, le concept de personnalité est élargi aux valeurs de celui-ci. La théorie scientifique, opaque, semble plus pauvre dans les outils existants que celle utilisée par ceux de la personnalité. Ils incorporent de plus en plus une dimension spirituelle qui dépasse souvent la finalité de l'entreprise. Les problématiques relationnelles en entreprise sont majoritairement causées par des défaillances structurelles, plutôt que des personnalités toxiques. Les relations toxiques s’apparentent à des jeux psychologiques inconscients dans lesquels les participants ont suffisamment d’intérêts en balance pour rendre la relation pérenne malgré tout; le niveau de toxicité étant basé sur un compromis avec soi-même. Pour une équipe internationale, la définition de la normalité attendue doit être adressée ainsi que les particularismes des membres.

 

Nous verrons dans le prochain et dernier article sur la thématique de la gestion des personnalités certains aspects touchant à l’intelligence collective et au bien-être au travail.

 

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Rappel :

Suite à une demande d'intervention sur le thème de la gestion des personnalités à l’IFCS de Grenoble (Institut de Formation des Cadres de Santé) dans le cadre de leur formation, exécutée en partenariat avec l’IAE et l’IEP, de Master 2 – Gestion des ressources humaines, vous trouverez ici un retour d'expérience d’accompagnant d’organisations, d’équipes et de personnes.

 

Ce sujet étant très large, et pour une plus grande facilité de lecture, il est scindé en cinq articles. D’un temps de lecture de 4-5 minutes, chaque article tente de couvrir synthétiquement une facette importante du sujet. Celui-ci est le quatrième de la série :

 

1.      De la difficulté à définir ce qu’est la personnalité (Mise en lumière de la personnalité)

2.      Des principaux outils disponibles et de leurs origines (Les recettes des « Self » services)

3.       Des conséquences de l’utilisation des résultats (A manipuler avec soin)

4.       De la personnalité au groupe (« Tous », ensemble)

5.      De l’intelligence collective et du bien-être au travail (Entre « Nous »)


Notes:

[1] Voir les articles précédents : Mise en lumière de la personnalité (Personnalité 1/5), Les recettes des « Self » services (Personnalité 2/5) & A manipuler avec soin (Personnalité 3/5) : https://www.integrativestrategy.fr/ressources/blog/

[2] Voir Les recettes des « Self » services (Personnalité 2/5).

[3] Voir l’article International negotiations (en anglais) : https://www.integrativestrategy.fr/international-negotiations/


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